Pour tout cela, les industriels doivent disposer de connaissances précises donc de données. Des données qui doivent être fiables, pertinentes et couvrir un large spectre métier. Des données qui doivent aussi être standardisées et homogènes pour qu’il soit possible de les comprendre, de les agréger, de les comparer, de les analyser en temps réel. À chaque étage de l’organisation, ces données et leurs apprentissages permettront de décider mieux et plus vite, et d’aller chercher des gains d’efficacité sur tous les axes de performance : business, productivité, maîtrise des risques, environnement… « Dans tous les domaines, la donnée est désormais le moteur de nos progrès », confirme Olivier Chapel, Organisation Group Manager et Industry 4.0 chez L’Oréal.

Deux exigences : une infrastructure pour faire circuler les données…

Pour accélérer sur la route de la data, l’infrastructure de communication (capteurs, réseaux, protocoles standards…) est la première étape obligatoire pour recueillir les données, les acheminer vers les personnes et les systèmes (de mise en forme, d’analyse, de stockage) appropriés, et faire redescendre les instructions, humaines ou automatiques, jusqu’aux machines. Cette infrastructure doit présenter un haut niveau de performance, de robustesse et de sécurité tout en étant suffisamment standard, ouverte et évolutive pour épouser les spécificités de l’outil de production et accompagner durablement ses transformations. Elle sera basée sur des événements et le plus souvent hybride, multi-niveaux, depuis l’edge computing, installé sur site pour être au plus proche des équipements lorsqu’il faut minimiser la latence, jusqu’au cloud, pour bénéficier de son ubiquité, de sa puissance et de ses innovations.

… et un référentiel pour les normaliser

Cependant, cette infrastructure matérielle ne suffit pas. Avec des machines d’époques et de fournisseurs différents, qui n’ont pas été conçues et implémentées pour les technologies et les enjeux d’aujourd’hui, les données brutes sont difficilement exploitables. Par exemple, il n’est pas toujours possible d’attribuer une surconsommation d’une utilité spécifique (eau, vapeur, électricité) à un équipement précis car les compteurs sont souvent communs. Si l’on veut pouvoir identifier la source exacte de la dérive, et prendre aussitôt les mesures qui s’imposent, on doit croiser diverses données de fonctionnement, et donc avoir au préalable rendu ces données compatibles et intelligibles. C’est pourquoi l’infrastructure de communication doit impérativement se doubler d’un cadre de référence afin de structurer, normaliser, localiser et contextualiser les données en dépit de la diversité des sources. Ce référentiel, basé sur les concepts d’ontologie et d’Unified Name Space (UNS), est ce qui permettra aux personnes comme aux systèmes d’intelligence artificielle de comprendre et d’exploiter les données.

Ces deux éléments – matériel et normatif – constituent les deux briques indissociables de l’architecture de connectivité de l’industrie numérique. Leur mise en œuvre conjointe se heurte cependant à un écueil majeur : la grande hétérogénéité de l’outil de production auquel il faut s’adapter tout en le perturbant le moins possible. Pour relever ce défi, la clé est d’avoir une méthodologie solide, associant les métiers et l’IT, afin de ne jamais perdre de vue ni l’objectif, ni le chemin pour l’atteindre.

L’expérience de tels projets pour de grands groupes industriels internationaux nous a permis de dégager quelques règles d’or :

  • Installer une gouvernance transverse à haut niveau : La mise en place de l’architecture de connectivité est un projet crucial pour l’avenir de l’entreprise, qui pose des questions d’ordre stratégique. Ces arbitrages structurants – par exemple, entre ce qui devra être centralisé et standardisé, et ce qui pourra relever de décisions locales – doivent être pris très tôt et au niveau de la direction.
  • Procéder par étapes : Pour minimiser les risques et maximiser les chances de succès, il convient d’avancer pas à pas : développer et valider un PoV (Proof of Value), déployer un pilote dans une première usine, le fiabiliser et valider en conditions opérationnelles, puis généraliser la solution à l’ensemble des sites en ayant, pour chacun, une stratégie de déploiement adaptée à ses spécificités.
  • Sécuriser le déploiement : Grâce aux jumeaux numériques, aux environnements de simulation, aux technologies immersives, il est possible de simuler très précisément l’environnement de l’usine pour tester le pilote, évaluer ses impacts et aplanir tous les obstacles à son intégration et à son adoption de manière à pouvoir le déployer en toute confiance et sans risque.
  • Penser à long terme : Il ne faut pas perdre de vue que l’on ne recommencera pas de sitôt une telle transformation et que l’infrastructure connectée d’aujourd’hui devra pouvoir supporter les paradigmes industriels de demain. Plus elle sera standard, ouverte et scalable, plus on disposera de marges d’évolution et d’innovation. Dans cette perspective, un environnement de simulation permettra aussi de tester des idées nouvelles et d’évaluer l’intérêt de cas d’usage inédits ou de technologies émergentes.
  • Veiller à la conduite du changement : Dans l’industrie, la transformation numérique vient parfois bousculer des habitudes et des façons de faire profondément ancrées. Pour minimiser les pertes d’efficacité et les réticences qui pourraient en découler, et inculquer les nouvelles compétences requises, avoir une solide stratégie d’accompagnement du changement, à laquelle les équipes seront associées dès le départ, est indispensable.
  • Bien choisir ses quick wins : En démontrant par des résultats rapides et tangibles le bien-fondé de la démarche, les premiers cas d’usage sont souvent décisifs dans l’appropriation du changement. Le choix de ces quick wins est d’autant plus fondamental ici qu’ils doivent pouvoir parler à toute l’organisation. La consommation énergétique est à cet égard un bon candidat car c’est un enjeu palpable, porteur, qui intéresse tout le monde, de l’opérateur à la direction générale, et qui offre des marges de progrès aisément accessibles.

L’architecture de connectivité est la future colonne vertébrale de l’outil de production et l’incontournable levier de sa performance, de sa résilience et de son innovation dans un environnement de plus en plus complexe. Pour les entreprises industrielles, sa mise en œuvre doit être une priorité stratégique car elle seule leur permettra de faire face aux défis d’un monde fragmenté et incertain, et d’en saisir toutes les opportunités.