Pour réaliser ces chantiers annoncés, auxquels s’ajouteront les nécessaires opérations sur le parc existant et l’accélération des travaux de recherche et d’innovation, la filière nucléaire française va avoir besoin d’énormément de bras et de cerveaux. Selon une étude réalisée par le Groupement des industriels français de l’énergie nucléaire (Gifen), elle devra recruter pas moins de 10 000 postes (ETP) par an pendant les dix prochaines années ! Avant même d’être technique, le grand défi de la relance du nucléaire en France sera donc humain.

Pour pourvoir ces postes malgré une pénurie de talents, et alors même que d’autres secteurs comme l’aéronautique ou les batteries auront des besoins similaires, la filière dispose de quatre leviers d’action : renforcer son attractivité auprès de tous les publics, réorienter des profils expérimentés vers ses métiers, se réorganiser en adoptant l’ingénierie distribuée, et développer ses capacités à l’international.

Même si son image s’est améliorée dans l’opinion, le nucléaire reste pour beaucoup un secteur opaque et difficile d’accès. Pour attirer les candidats, particulièrement les jeunes et les femmes, pas encore assez représentées, la filière doit casser les idées reçues et diffuser des messages laissant entrevoir des carrières passionnantes et durables dans une filière dynamique. Il lui faut marteler que travailler dans le nucléaire, c’est contribuer à la transition énergétique en développant une source d’électricité décarbonée ; c’est être à la pointe des technologies numériques, du jumeau numérique à l’IA en passant par la cybersécurité ; c’est appartenir à une filière d’excellence, où la sûreté prime par-dessus tout ; c’est, enfin, construire le futur de notre pays, souverain et durable, pour les générations futures. Enfin, pour concrétiser par des embauches l’intérêt que cette communication aura suscité, il faut en parallèle réinventer l’expérience candidat et les parcours de recrutement, notamment grâce au digital.

Cependant, encore faudra-t-il que ces candidats soient assez nombreux et qualifiés. Face aux besoins immenses qui se profilent, l’un des enjeux majeurs va être d’adapter au plus vite l’offre de formation pour développer toutes les compétences nécessaires. Ceci doit porter sur la formation initiale, ce qui passera par une collaboration renforcée entre la filière et la sphère éducative, mais aussi sur la formation continue, soit pour favoriser les évolutions de carrière en interne, soit pour reskiller des professionnels issus d’autres industries. Des parcours conçus pour des ingénieurs aéronautiques ont ainsi démontré la pertinence de telles passerelles. Dans ce vaste effort pédagogique, le digital sera un outil incontournable pour soutenir les équipes pédagogiques et pour rendre les formations plus attractives, accessibles et efficaces. Grâce aux réalités virtuelle et augmentée, il sera même possible de s’exercer aux gestes métiers les plus sensibles en toute sécurité.

Ce contexte de tension sur les compétences va aussi imposer à la filière nucléaire de revoir ses modes de fonctionnement pour pouvoir faire face à la multiplication de projets de grande ampleur. Pour tirer le maximum des ressources disponibles au sein de la filière, lever certains freins organisationnels et géographiques, et stimuler l’engagement et l’innovation, les grands acteurs du nucléaire devront avoir recours à l’ingénierie distribuée, où des lots d’activités sont confiés à des partenaires. Cette approche, qui a notamment fait ses preuves dans l’aéronautique et l’automobile, nécessite cependant des évolutions culturelles et organisationnelles majeures pour piloter les travaux externalisés et en garantir la qualité.

L’ingénierie distribuée offre aussi la possibilité d’intégrer plus facilement des équipes situées à l’étranger. Le rightshore offre l’opportunité d’élargir le vivier de talents aptes à participer à l’expansion de la filière nucléaire française, en garantissant d’avoir les bonnes compétences disponibles et au bon moment. Là encore, le recours à des ressources globales doit s’accompagner de la mise en place d’un cadre rigoureux de pilotage et de contrôle, à l’image de ce qui se pratique couramment dans d’autres secteurs.

Effort de communication, effort de formation, effort de transformation, effort d’internationalisation : ce sont ces quatre chantiers que doit sans plus attendre lancer la filière nucléaire pour relever l’immense défi humain qui se dresse devant elle. Complémentaires et interdépendants, ces quatre leviers ne porteront pleinement leurs fruits que s’ils sont mis en œuvre de façon coordonnée par tous les acteurs concernés. Leurs défis sont communs, leur action doit être collective.